Septembre 2012
Epuisée je passe la porte de l’appartement. Dans le couloir je quitte ma veste, mes chaussures et appelles doucement «
Zara ? » Pas de réponse. Elle est certainement au boulot. Je n’arrive plus à me souvenir si elle était de service de soir. Pieds nus je rejoins ma chambre, jette mon sac un peu plus loin et me laisse tomber sur mon lit. J’avais passé le week end à Los Angeles avec un groupe d’amis de la fac et le silence qui règne ici me fait un peu bizarre du coup. Mon téléphone sonne et je lis le sms que je viens de recevoir. C’est Saphyr qui me propose de passer le voir une fois rentrée. J’hésite une seconde avant de lui répondre. Il m’a écrit ces deux derniers jours mais il avait été particulièrement désagréable à me faire des remarques et à poser des questions sur les gars avec lesquels j’avais passé mon séjour. Il était bizarre ces derniers temps, toujours à cran, lui qui d’habitude ne se prenait jamais la tête. Pourtant j’avais très envie de le voir et j’acceptais de venir dès que j’aurais pris ma douche. [...]
Il ne me faut pas plus de dix minutes une fois dehors pour rejoindre l’endroit où vit Saphyr. Comme j’en ai pris l’habitude ces dernières semaines j’entre sans frapper en m’annonçant. C’est plus souvent le jeune-homme qui vient nous rendre visite à la maison mais je n’en connais pas moins son appartement par cœur. Une certaine complicité s’est vite installée entre nous. Les premiers jours nous passions notre temps à faire l’amour sans échanger un mot mais au fil du temps nous avons fini par apprendre à nous connaître. Il ne sait rien de mes plus sombres secrets certes comme moi de son passé mais je crois qu’on peut dire qu’on est amis aujourd’hui. On passe du temps ensemble à s’apprivoiser sans pour autant nous retrouver constamment l'un sur l’autre et j’apprends à savourer l’instant présent sans me poser de questions. De toute façon les choses sont claires entre nous depuis le tout début. Nous sommes libres de fréquenter qui nous voulons tout en continuant à prendre du bon temps ensemble. Je ne me prive d’ailleurs pas et n’ai rien changé à mon quotidien mais je dois avouer que j’aime ces moments avec Saphyr. Il a quelque chose qui fait que je reviens toujours vers lui sans que je puisse me l’expliquer. «
Tu vas bien ? » je demande en m’asseyant à ses cotés sur son canapé. «
ça va et toi ? » Je soupire d’aise et lui prend sa cigarette des mains pour en tirer une taffe. «
Très bien. J’ai passé un super week-end. » L’expression enjouée de Saphyr faiblit l’espace de quelques secondes à cette remarque. «
Justement. A propos de ça… Il faudrait que je te parle de quelque chose. » Doucement il prend ma main et je me laisse faire jouant avec les siens. Saphyr était plus tactile depuis quelques jours et si j’avais prêté plus attention à son comportement j’aurais certainement deviné ce qu’il était sur le point de me dire. «
Je suis jaloux. Des autres mecs sur qui tu peux poser les yeux ou fréquenter. » Les yeux baissés il finit par me regarder. «
Je crois… que j’aimerais être le seul dans ta vie. Et que je t’aime. » De surprise je hausse les sourcils. Il a l’air… merde, tellement mal à l’aise. Et je crois que je ne suis pas mieux en cet instant. J’esquisse un petit sourire, prête à rire. Il allait que c’était juste une blague et puis voilà. Mais non, rien ne vient si ce n’est un lourd silence. «
Mais depuis quand ? » sont les seuls mots qui sont sortis de ma bouche. Bravo Zoey, t’es toujours aussi douée pour les relations sociales ! ça aurait été n’importe qui d’autre je serais partie en courant dans un sourire cynique à cette révélation mais Saphyr comptait pour moi. Pourtant je m’apprêtais à lui briser le cœur et je me détestais pour ça. «
Ecoutes… Je t’apprécie vraiment. Et même ça va au-delà de ça. Je sais que je suis pas super démonstrative comme nana mais je t’assure que tu représentes beaucoup pour moi. Seulement… pas de la façon dont tu voudrais. Je suis pas faîtes pour l’amour, ce genre de trucs c’est pas pour moi et je ne suis pas amoureuse de toi. » Je me mords la lèvre en guettant sa réaction et contre toute attente le jeune-homme sourit. «
T’inquiètes. C’est pas grand-chose. » «
Ok » je murmure. Je ne crois pas une seule seule seconde à son mensonge mais quoi dire de plus ? L’atmosphère qui règne alors est plus que tendue jusqu’à ce que Saphyr m’embrasse. «
T’en fais pas d’accord ? » Je hoche la tête tandis qu’il me fait basculer en arrière en se montrant plus pressant contre mes lèvres. «
Restes dormir ici cette nuit » il me propose en retirant mon T-shirt. «
Je sais pas Saphyr… Comment ça va se passer maintenant ? Je ne veux pas encourager quoi que ce soit. » Je gémis légèrement au contact de ses doigts sur ma peau. «
On va oublier tout ça, ok ? Je ne t'ai rien dit ce soir, on va zapper cette histoire et tout sera comme avant. » Comme si c’était une mauvaise grippe. J'ai beau deviner que ce plan était complètement bidon j'acquiesce quand même. Je ne voulais pas moi non plus tout arrêter.
Novembre 2012
«
J’vais la tuer ! Cette pétasse a ruiné ma vie ! » D’un geste je fais signe à Saphyr de parler moins fort alors que des clients pourraient nous entendre. Il avait débarqué il y a cinq minutes au Musain fou de rage. Une fille l’avait apparemment accusé de l’avoir frappé. Seulement il est dans un tel état que j’ai du mal à comprendre ce qu’il me raconte. Je décide donc de prendre ma pause plus tôt que prévu pour entraîner Saphyr à l’extérieur et qu’il m’explique tout ça un peu plus à l’abri des regards indiscrets. «
Calmes toi et parles moins vite je comprends rien ! Qu’est-ce qu’il s’est passé exactement ? » J’allume une cigarette pour la lui tendre, espérant que ça l’apaise un peu. «
Hier je bossais à la boîte. Je suis resté derrière le bar presque toute la soirée. Seulement cette fille... Alexia Sylphie elle s’appelle je crois. Putain j’avais même jamais entendu son nom avant aujourd’hui ! Je sais même pas quelle tête elle a, j’en vois tellement passer des gens. Enfin bref, elle dit que je l’aurais agressée. Elle balance ces accusations à qui veut l’entendre et a porté plainte ce matin contre moi. » Je fronce les sourcils et essaie de réfléchir. «
Mais il y a des témoins qui savent que tu n’as pas bougé de ton poste non ? Ou qui aurait pu voir l’agression et certifier que ce n’était pas toi ? » Il passe une main dans ses cheveux complètement désemparé. «
J’en sais rien… J’en sais rien du tout. Elle est mineure en plus, je risque gros. » «
Il faut que tu prennes un avocat ! »
Les jours qui ont suivi j’ai tout fait pour accompagner Saphyr dans ses démarches avec la justice. A part pour aller voir son avocat il refusait de sortir de chez lui. Une fois seulement j’ai réussi à le convaincre de venir à l’appartement. Zara était inquiète elle aussi. Elle se demandait ce qu’il allait se passer. Thomas, celui qui était chargé de prendre sa défense nous avait promis qu’il allait tout faire pour lui éviter la prison avant le procès qui devait arriver rapidement. Malheureusement le juge en a décidé autrement quand il a découvert les antécédents de Saphyr. On avait pas de quoi payer la caution pour le faire sortir. C’est donc impuissante que je lui rendais visite aussi souvent que je le pouvais après les cours. Le soir je rentrais complètement dévastée. Son chien était là pour me rappeler un peu plus son absence, il jouait avec Francis, celui que moi j’avais recueilli il y avait quelques mois. Ils avaient l’air si insouciants que ça me donnait envie de pleurer mais je m’arrangeais toujours pour craquer lorsque j’étais seule.«
Comment tu te sens aujourd’hui ? » Saphyr se contente de hausser les épaules à ma question. Il a une sale tête. Je n’ose pas lui demander mais je jurerais voir une trace sous son œil comme si on lui avait donné un coup de poing. Chaque jour il a un peu plus mauvaise mine. Je m’efforce pourtant de rester toujours la plus positive possible pour lui changer les idées. J’aimerais pouvoir le serrer contre moi mais les gardiens nous interdisent tout contact physique. «
Tes lèvres me manquent. » «
Tu me manque aussi. » S’il savait à quel point… «
Je t’aime. » Dans un petit sourire je le regarde avant de baisser les yeux. «
Et là comme d’hab tu dis plus rien et fuis mon regard. » Je joue avec les bracelets autour de mon poignet pour me donner contenance. «
Qu’est-ce que tu attends de moi exactement ? » Après tout c'est lui qui avait voulu qu'on fasse comme si de rien n'était. Je savais que ça tournerait mal un jour. Il soupire et gigote sur sa chaise, énervé. «
Rien, laisses tomber. Tu devrais y aller. » Il était probablement stressé avec l’audience qui approchait. «
D’accord. Je reviendrais demain quand tu te seras calmé. » Le ton de ma voix est légèrement amer. Je ne suis pas non plus du genre à me laisser faire malgré les circonstances. «
Non y’a pas de demain. Y’aura pas de demain ! » J’observe le moindre de ses gestes avec attention. Ils traduisent un état de manque considérable. Je le sais pour avoir déjà remarqué le même genre d’agressivité chez Ethan. «
Dis pas de conneries. » Il se lève furieux. «
C’est pas des conneries putain ! J’ai pas besoin de votre soutien à la con. Crois moi j’ai enduré bien pire dans ma vie. » On nous surveille un peu plus attentivement tandis que Saphyr hausse le ton. «
Je suis sérieux Zoey. Je veux plus te voir. Alors tu me lâches et tu ne reviens plus jamais ici ! » Il m’aurait fait moins mal s’il m’avait donné une gifle. «
T’as raison, t’es le plus fort, tu n’as surtout besoin de personne. Tu sais quoi ? T’as gagné je laisse tomber. Au revoir Saphyr. » Le visage impassible je me redresse, range ma chaise et sors sans un regard en arrière.
Les jours qui ont suivi, ça a été le silence radio. Je ne suis pas retournée voir Saphyr. Il m’a laissé quelques messages vocaux dans lesquels il s’excusait mais je n’ai pas cherché à décrocher. Je lui en voulais beaucoup de m’avoir rejetée sans ménagement. J’ai aussi compris ce jour-là que Zara et lui avaient beaucoup à cacher sur ce qu’il avaient vécu plus jeunes. J’ai pris sur moi, j’ai continué à avancer en essayant de ne pas trop penser au jeune-homme tout ça jusqu’au jour du procès. Je m’y suis rendue évidemment et j’étais même morte de trouille bien que j’essayais de le cacher à mon amie qui tremblait comme une feuille à l’idée que son frère finisse ses jours en taule. A l’audience j’ai aussi fait la connaissance d’une amie de Saphyr, Elena Blueberry, son agent. Elle m’a tout de suite plu, une femme pleine d’assurance. Nous avons discuté quelques instants jusqu’à ce qu’on nous demande de faire le silence le plus complet. [...]Libre. Saphyr est libre. Thomas et lui ont gagné le procès et il a été innocenté. Le nœud que j’avais dans l’estomac s’est dénoué à l’annonce du verdict. La seule chose que je ressens à présent c’est du soulagement. Sous la douche j’ai pleuré de joie avant de finir de me préparer. Le jeune-homme vient passer la soirée à la maison pour fêter son retour. J’ai laissé Zara au tribunal avec lui tout à l’heure pour qu’ils puissent se retrouver. Je ne l’ai pour ma part toujours pas revu. Depuis notre dispute je ne lui ai pas adressé un mot. Quand je les entends rentrer, mon cœur s’emballe. Je prends quelques minutes pour me calmer avant de les rejoindre dans le salon. Zara, qui a compris depuis un moment maintenant qu’il se passait quelque chose entre nous s’éclipse et je croise le regard de Saphyr. «
On s'fait la bise, ou... ? » Je souris malgré moi et sans réfléchir m’approche pour le prendre dans mes bras sans un mot. En silence nous prenons le temps de nous retrouver. Je sens le visage du jeune-homme se glisser dans mes cheveux et le serre plus fort. Quand je l’entends sangloter sous le coup de l’émotion je le berce doucement et le rassure en chuchotant à son oreille. «
Tout est fini maintenant. » Il embrasse mon front, mes joues, mon menton avant d’hésiter en fixant mes lèvres. Sans réfléchir je consume ce baiser tant désiré depuis trop longtemps maintenant. «
Tu m’as tellement manqué. » Je me détache de ses bras pour pouvoir le regarder et essuie ses larmes. «
Je ne t’abandonnerais plus. » J’aurais tellement aimé qu’il dise vrai mais j’essaie de rester lucide. Plusieurs fois j’avais été déçue par le passé. Il y avait d’abord eu mon père puis Astor. Depuis son suicide je flippais à l’idée de m’attacher à quelqu’un de nouveau. «
Ce ne sont que des mots. » Je vois Saphyr déglutir avec difficulté, déçu. «
J’aimerais tellement te prouver à quel point je t’aime. » Le jeune-homme a l’air un peu perdu et je lui prends les mains avant de me lancer. «
J’aimerais aussi. Tu sais… Je ne suis jamais tombée amoureuse. En fait... je me le suis toujours interdit. Je n'ai jamais cherché à compter aux yeux d’aucun autre homme avant toi. C'était inutile, aucun n'en valait la peine. Et puis je sais ce que c'est d'être seule livrée à soi-même et je m'en suis toujours bien sortie. Alors voilà il n'y a jamais eu personne. Mais toi, toi tu en vaux la peine. Enfin je crois. J'aimerais m'en assurer. » J’avais besoin qu’il me prouve ses sentiments pour pouvoir me laisser aller avec lui, me confier comme jamais je ne l’avais fais avec personne encore. Mais pour l’instant l’heure était aux retrouvailles et je l’embrasse une nouvelle fois.
«
A demain » je lance à l’intention de mes collègues dans un dernier coucou avant de quitter le bar lessivée. Saphyr m’attend au volant de sa voiture. Lui aussi travaille au Musain à présent, le boss lui a laissé sa chance malgré les évènements récents, mais c’était son jour de repos ce vendredi. J’ouvre la portière côté passager et effleure ses lèvres pour le saluer alors qu’il sautille presque sur son siège, tout content. «
J’ai trouvé Zoey ! J’ai trouvé ! » Je fronce les sourcils d’incompréhension. «
Tu as déterré un trésor ? » je le taquine. J’attache ma ceinture et il démarre en trombe. «
Mais non ! » Sa bonne humeur est contagieuse et je souris. «
Qu’est-ce qu’il se passe ?! » Sans quitter la route des yeux je vois pourtant son regard s’allumer. «
J’ai trouvé comment te prouver que je suis fou de toi ! » Depuis ce soir-là où je lui avais avoué que j’étais morte de trouille à l’idée de me laisser aller avec lui si je n’étais pas certaine qu’il m’aimait et ne me laisserait jamais tomber Saphyr est obsédé à l’idée de faire ses preuves. Je soupire. «
Tu penses encore à ça… » Je me frotte les yeux de fatigue avant de le regarder. «
J’y pense même sans arrêt. » Saphyr se gare devant son immeuble, retire la clé du contact et me caresse la joue. «
Allez viens. Tu vas voir la surprise que je t’ai réservée. » J’acquiesce avant de le suivre pour monter les escaliers jusque chez lui. «
J’ai profité de mon temps libre cet après-midi pour réunir toute ma réserve de drogues dures. » Je grimace à cette idée, drôle d’activité… Et il croyait vraiment que ça allait me faire plaisir ? «
Et maintenant je vais tout jeter sous tes yeux ! » … Hein ?! «
T’es sérieux ? » Je suis sur le cul là je dois l’avouer et le fixe avec instensité. «
On ne peut plus sérieux. » Il s’empare du sac et m’entraine jusqu’à la benne dehors. Tandis qu’il s’apprête à balancer le tout je le retiens, inquiète. «
Saphyr… T’es sûr de vouloir tout arrêter ? D’être prêt pour ça ? Si tu fais une chose pareille je veux que ce soit pour toi, pour ta santé. Pas pour moi. » D’une voix ferme il m’affirme presque tout de suite «
je suis sûr de moi. » Fermement je viens prendre sa main libre. La sienne s’ouvre pour laisser tomber son stock. «
Je suis fière de toi Saphyr Vilkas. » je murmure encore un peu sous le choc mais heureuse avant tout. «
Je te l’ai dit je suis prêt à tout. C’est avec toi que je veux être. D’ailleurs tu ne voudrais pas emménager à l'appartement ? » Ma respiration se coupe. C’est beaucoup trop d’un coup pour moi. Et trop d’émotions pour une seule et même soirée. «
Laisses-nous encore un peu de temps d’accord ? » Nerveusement je me mords l'intérieur des joues. J’avais peur qu’il finisse par se lasser de mes refus, de mes rejets.
Décembre 2012
Le regard perdu dans le vague j’essaie de me concentrer sur la fin du cours de littérature en vain. La voix du prof est bien trop soporifique. Plutôt que de perdre mon temps dans l'amphithéâtre à ne rien faire je rassemble mes affaires et quitte discrètement la pièce. Quelques regards se tournent vers moi mais personne ne m’arrête. La fac c’est la loi de la jungle. Si tu ne veux pas écouter ou venir, libre à toi mais démerdes toi ensuite pour rattraper ton retard. Heureusement pour moi j’ai toujours eu des facilités à m’adapter à toutes les situations et à apprendre. Rapidement je retrouve l’air frais quand mon téléphone sonne. C’est Saphyr. «
Salut toi. Ça va ? » Sa voix est faible à l’autre bout du fil. «
ça va… je crois. » «
Tu crois ? » je répète inquiète. «
Je… J'ai replongé Zoey. » Il ne me faut pas longtemps pour comprendre qu’il parle de la drogue. «
J’suis désolé. J’suis pas à la hauteur. Oublies moi ça vaut mieux. » Pour mieux l’entendre je rejoins rapidement ma voiture et me glisse à l’intérieur. «
Bien sûr que non, je ne vais pas te laisser tomber comme ça. C’est aussi ma faute je ne t’ai pas assez soutenu. Mais je vais t’aider, on va y arriver ok ? » Je l’entends bouger à l’autre bout du fil. «
J’suis pas un mec bien. Je suis en train de péter les plombs Zoey. » «
Tu veux que je vienne ? » je demande. Sa réponse un peu trop directe m’alerte. «
Non ! Non surtout pas ! J’ai fais une connerie, tu serais pas contente. » En réalité j’avais déjà démarré. Moi aussi je peux être une tête de mule quand je veux. «
Ne bouges surtout pas, j’arrive ! » Quand je suis rentrée chez lui Saphyr était allongé par terre, presque inconscient, une boîte de médicaments à ses côtés. Jamais je n’avais vu à une scène pareille. J’étais tellement morte de peur et sous le choc qu’il m’a fallu bien trente secondes avant de réagir et de retrouver l’usage de la parole. En pleurs je me suis jetée à ses pieds et j’ai caressé ses cheveux avant d’appeler les secours paniquée. Trois fois il a fallu que je leur indique l’adresse tellement ils ne comprenaient rien au travers de mes sanglots. Dix minutes plus tard, c’est dans un état second que j’ai regardé les pompiers lui venir en aide pendant que je me faisais la promesse de toujours être là pour lui à l’avenir s’il s’en sortait.
Un bâillement m’échappe tandis que je tire une chaise pour m’installer au chevet de Saphyr. Je suis épuisée mais je ne dors plus depuis sa tentative de suicide. Le jeune-homme est réveillé depuis plusieurs heures, physiquement il va bien, mais je ne me remettrais jamais de ce à quoi j’ai assisté. «
Comment tu te sens ? » je murmure à son intention. Il hausse simplement les épaules. Une question me brûle les lèvres et j’ose finalement la poser. «
Pourquoi est-ce que t’as fais ça ? » Je m’empare de sa main pour l’encourager à parler mais sa réponse me surprend un peu. «
C’est pas moi qui l’ai fait. » Saphyr me regarde apeuré. «
C’est pas moi. C’est Nykolas. Et les voix dans ma tête. » Mes sourcils se froncent. «
Il n’y a pas de voix dans ta tête Saphyr… » j’essaie de le rassurer en caressant sa peau. «
Si je les entends. C’est insupportable Zoey, je veux qu’elles s’arrêtent. Qu’elles se taisent. » Impuissante je fais pression sur son bras comme pour lui dire que je suis bien là avec lui. «
Je m’inquiète pour toi. » Et encore c’est un euphémisme. «
Quand tu seras sorti d’ici j’aimerais venir vivre à tes côtés si tu es toujours d’accord. Je sais que j’ai refusé il y a quelques jours mais je veux prendre soin de toi… » Le ton de ma voix est presque suppliant. Quand Saphyr acquiesce je souris timidement avant de venir effleurer ses lèvres.
2 janvier 2013
La paranoïa, les variations de l’humeur, l’incohérence dans le discours… sont des symptômes de délires psychotiques. Dans un cadre psychiatrique, certains traitements médicamenteux peuvent être mis en place. Les traitements sont prescrits… Absorbée par ma lecture je n’entends pas lorsque Saphyr passe la porte de l’appartement. C’est seulement lorsqu’il se plante devant moi que je réagis. D’un geste je referme rapidement mon ordinateur avant qu’il y jette un œil et lui souris. «
Hé.Tu as passé une bonne journée ? » Je lui fais une place à mes côtés sur le canapé et il m’embrasse pour me saluer. A ce simple contact je frissonne. C’est fou l’effet qu’il peut me faire. Cela faisait des semaines maintenant qu’il était le seul avec lequel je partageais mes nuits et surtout le seul à occuper sans arrêt mon esprit. Pour me changer les idées, la veille j’avais retrouvé un vieil ami. Plusieurs fois nous avions déjà couché ensemble mais hier je n’avais tout simplement pas pu. Il avait à peine effleuré ma peau que je l’avais repoussé. Par chance il avait été compréhensif. La plus troublée des deux ça avait été moi et j’avais bien failli fondre en larmes. J’avais peur de comprendre ce qu’il m’arrivait. J’étais en train de tomber amoureuse de Saphyr et ça me paralysait. «
Il y avait personne au bar ce soir. Et toi ? T'es rentrée tard hier soir. » Je hoche la tête et me pince les lèvres en détournant les yeux. «
Oui je buvais un verre avec un ami. » D’habitude je suis une bien meilleure menteuse. «
Tu devrais t’éloigner de lui… » Mes sourcils se froncent. «
Comment ça ? » «
De ce mec. Tu devrais t’en éloigner. C’est Nykolas qui le dit. Il dit aussi que tu devrais me fuir. » Il me regarde, l’air stoïque. «
Il a raison, je suis complètement barge de toute façon. » Timidement je tends la main pour caresser sa joue. Quand il est en pleine crise il ne se laisse parfois pas approcher mais Saphyr ne me repousse pas. «
Tu n’es pas complètement barge. » Un rire s’échappe de ses lèvres. «
Si bien sûr que si c’est pour ça que t’es là même. Pour me surveiller. Mais ça change rien ! Ils sont toujours là. Je les entends. » Tendrement je m’assois par-dessus ses jambes et prend son visage entre mes mains. «
Il n’y a que toi et moi ici. Tu te rappelles ? On en a déjà parlé. » Difficilement il déglutit. Il n’est pas agité ce soir mais il a l’air terrifié et balbutie. «
D’accord. Juste... toi et moi. Et personne d’autre. » Je le serre contre moi en essayant de respirer calmement avant de plonger mes yeux dans le brun des siens. «
Quand tu douteras je veux que tu me regardes comme ça et je serais là pour te rassurer d’accord ? » Il acquiesce et je me calme en même temps que lui. «
Tu vois on est bien là. Et si je suis ici c’est parce que tu comptes pour moi avant tout. » La respiration de Saphyr est de nouveau normale. Cette proximité me fait un bien fou. «
Mais tu ne m'aimes pas ou du moins pas comme je le voudrais, c'est ça ? » C’est le moment ou jamais. Je cille avant de murmurer «
j’ai mis longtemps à l’accepter mais si… Je t’aime Saphyr. » La surprise se lit sur son visage alors que je recule légèrement du sien pour l’observer. «
Sérieusement ? » Tendrement, je viens l'embrasser. «
Oui sérieusement. » Il sourit enfin et je fonds littéralement devant son expression ravie. «
Je t’aime aussi Zoey. » Le cœur battant mes lèvres s’élargissent à leur tour. «
A partir de maintenant ça ne sera rien que nous deux. » Plus jamais je ne voulais le partager avec qui que ce soit d’autre. J’étais morte de peur à l’idée de ne pas être à la hauteur mais je ne voulais que lui. «
Pour toujours et à jamais. » Cette devise me plaît bien.
9 février 2013
Sur le Golden Gate Bridge, appuyée contre la barrière je lève les yeux pour apercevoir Saphyr. J’étais terrorisée à l’idée qu’il saute et qu’il essaie une nouvelle fois de mettre fin à ses jours comme il venait de me dire vouloir faire. Pas une deuxième fois je ne savais pas si je serais capable de le supporter. La journée avait pourtant bien commencée. Un dimanche comme les autres. Lui et moi nous étions réveillés dans les bras l’un de l’autre. Il n’y avait pas d’endroit au monde où je me sentais chez moi comme dans ses bras. Depuis que nous étions ensemble je me sentais enfin à ma place. Saphyr et moi n’avions jamais été en couple ni l’un ni l’autre avant notre relation, nous nous disputons souvent et cherchions encore nos marques tous les deux mais nous sommes heureux ensemble. Il y a un mois nous étions partis en voyage en Inde et ça avait été fabuleux. La seule ombre au tableau c’était en réalité les troubles psychotiques du jeune-homme. Cet après-midi Saphyr avait rendez-vous à l’hôpital avec ses médecins. Il m’avait caché la nouvelle pour me l’annoncer au téléphone seulement une fois sorti de sa consultation il y a un peu moins d’une heure. Les nouvelles n’étaient pas bonnes. Le ton est vite monté. Je sentais qu’il paniquait. Quand il m’a enfin avoué se trouver sur le pont de San Fransisco je m’y suis tout de suite rendu. J’avais promis de toujours être là pour lui. Seulement voilà, il avait grimpé sur une plateforme et j’ai eu beau insister pour le rejoindre, il voulait à tout prix être seul.
Les minutes m’ont parues des heures avant que je le vois redescendre par l’échelle de secours. Enfin je m’autorise à respirer un peu plus calmement. Je l’aperçois me faire de grands signes de l’autre côté de la rue et il s’apprête à traverser. Tout se passe ensuite si vite et dans un tel vacarme, que je mets quelques temps à réaliser. Saphyr se fait renverser sous mes yeux. Et ce n’est que lorsque j’aperçois son corps à terre que je réagis enfin, le rejoignant dans un cri déchirant sans moi-même prendre garde à la circulation. Sans réfléchir je me jette à genoux tout près de lui. Ma vue commence à se brouiller à cause des larmes qui me montent aux yeux. «
Non non non c’est pas possible pas comme ça ! » je murmure pour moi-même. Pas après tout ce qu’on a déjà traversé, pas après avoir passé une demi-heure à essayer de le convaincre de rester en vie au bout du fil. Je relève la tête et analyse la situation. Nous ne sommes pas seuls évidemment, au moins une dizaine de paire d’yeux nous fixent. Je trouve ça tellement malsain. J’ai envie de leur hurler de dégager à cette bande de voyeurs. Je gratifie d’un regard noir l’homme le plus proche de moi «
Vous, vous attendez quoi pour appeler les secours plutôt que de rester planté là?! » Je vérifie qu’il s’exécute bien avant de chercher des yeux le conducteur. J’étais tellement en colère, après lui, après l’humanité toute entière. «
Vous ne pouviez donc pas faire attention ?! » je hurle ravagée par quelques sanglots. Aucune réponse. Il ne méritait même pas que je lui adresse la parole. Ce connard n’avait pas une égratignure lui. Je reporte plutôt mon attention sur Saphyr et tremble un peu en voyant tout le sang qui s’échappe de son corps. Ne pas paniquer, ne pas paniquer. C’est dans ces moments-là que tu regrettes ne pas avoir appris les gestes de premiers secours. Peut-être quelqu’un ici aurait pu m’aider mais je refusais que quiconque à part les pompiers s’approche de nous. Alors en les attendant je me couche auprès du jeune homme. Mes lèvres tout près de son oreille je murmure doucement «
Mon amour tu m’entends ?! » en priant bêtement pour qu’il me réponde en vain. Je résiste à l’envie que j’ai de lui caresser les cheveux ou de lui prendre la main pour le rassurer, ou me rassurer moi je sais pas trop - je ne voudrais pas aggraver la situation - et continue simplement. «
Ne me laisses pas s’il te plaît, je t’aime tellement. » Je déglutis difficilement. «
Les secours arrivent alors tiens le coup. » Le bruit des sirènes me parvient d’ailleurs et je m’apprête à m’écarter pour laisser les pompiers faire leur travail.
11 et 12 février 2013
Sagement je m’assois sur une chaise dans la cuisine avant de jeter un œil à Jenna. Jenna c’est la femme pour laquelle mon père a quitté la maison quand j’étais gamine. La femme qu’il aime. On ne s’entend pas très bien toutes les deux. Probablement parce que je ne fais pas assez d’efforts. Je n’ai pas envie d’apprendre à la connaître. «
Il arrive bientôt ? » je demande. Elle hoche la tête. «
Il est 17h30, il a dû quitter son bureau à l’heure qu’il est. » Sans un mot je me lève pour me servir un verre d’eau. En silence nous attendons jusqu’à ce que j’entende enfin quelqu’un entrer. «
C’est moi ma chérie » lance mon père. Jenna se précipite à sa rencontre pendant que je roule les yeux avant de la suivre. Un sourire apparait sur les lèvres quand il m’aperçoit. «
Ma puce, ça fait longtemps » il murmure en me serrant dans ses bras. «
Comment vas-tu ? » Je hausse les épaules. Saphyr est toujours à l’hôpital, suite à son accident les médecins l’ont gardé en observation et pensent avoir trouvé la cause de ses troubles psychotiques. Ce serait peut-être une tumeur il était justement en train de passer des examens. Je suis morte d’inquiétude. Ethan lui est distant depuis que je suis en couple, il est jaloux je crois et surtout il s’enfonce toujours un peu plus dans la drogue. Je ne dors plus, j’ai du mal à me concentrer à la fac. Pourtant je réponds «
ça va. » Il n’a pas l’air convaincu. «
Tu as mangé Zoey ? J’ai fait un gâteau cet après-midi, tu en veux un morceau ? » me propose Jenna. Machinalement je réponds par l’affirmative. Une nouvelle fois nous nous attablons mais tous les trois. Je ne parviens pas à avaler une bouchée de mon dessert pendant que nous discutons de choses et d’autres. Enfin j’ose parler de l’objet de ma visite. «
Je m’inquiète pour Ethan papa… » A l’évocation de ce nom Jenna nous laisse pour nous laisser un peu d’intimité. «
Il prend un mauvais tournant en ce moment, je n’aime pas pas ça. Je sais que vous ne vous parlez plus depuis qu’il est parti mais…il a besoin de toi. Il a besoin de nous tous. Et ces derniers temps il ne m’écoute pas non plus. » Je me pince les lèvres. «
Je pense qu’il devrait faire une cure de désintox. » Il soupire et finit par me regarder. « Je vais essayer d’aller le voir. » Au fond il ne pouvait pas s’empêcher de se faire du soucis. Ethan était son fils après tout. «
Merci. » Parce que je ne savais plus quoi faire pour aider mon frère. Il était temps pour nous de grandir, de sortir de notre bulle et de reconnaître que nous avions besoin d’aide parfois. J’avais un peu l’impression de le trahir en parlant derrière son dos mais je n’avais plus le choix. Je me lève finalement. «
Il faut que j’y aille. » «
Déjà ? » Je m’approche pour le prendre dans mes bras. «
Oui je suis désolée mais je reviendrais bientôt. » Je m’éloigne pour m’arrêter au seuil de la porte d’entrée et le regarde une dernière fois. «
Oh et papa… J’ai rencontré quelqu’un. Il s’appelle Saphyr. On vit ensemble aujourd'hui et je suis amoureuse de lui. J’espère que j’aurais bientôt l’occasion de te le présenter. » Sur ces paroles je sors sans attendre sa réponse. Sinon je devrais m’épancher sur mes inquiétudes concernant la santé du jeune-homme et je ne veux pas craquer. Pas maintenant.
«
J’ai bien une tumeur. » Assise au bord du lit d’hôpital de Saphyr je blêmis. Avant même qu’il n’ouvre la bouche j’avais deviné à son expression que les résultats de son IRM n’étaient pas bons. «
C’est bien la cause de mes troubles. Ils m’opèrent demain matin en urgence. » J’ouvre la bouche pour la refermer. Aucun son ne veut en sortir. C’est une intervention plus que risquée. Et malheureusement je ne suis pas d’un naturel optimiste. En prenant garde à ne pas lui faire de mal je m’allonge à ses côtés. «
Tu vas t’en sortir, on va surmonter ça hein ? » je murmure les larmes aux yeux. Saphyr acquiesce. Je sais qu’il n’est pas rassuré lui non plus mais il essaie d’être fort pour nous deux et j’en suis touchée. «
Fais moi confiance. Bientôt tout sera fini et on vivra heureux. » J’embrasse ses lèvres tendrement et il sourit d’un air malicieux. Sa main glisse sur ma cuisse pour la caresser avant de se faufiler à l’intérieur de mon jean. «
ça, je ne suis pas sûre que ce soit une bonne idée… » Comme pour me donner raison la machine qui mesure le rythme cardiaque de mon petit ami se met à sonner alors que son palpitant s’emballe. Nous ne pouvons retenir un petit rire malgré notre frustration et je l’aide à se calmer avant que les infirmières ne débarquent. «
Fais chier. » Je suis bien d’accord… Ma main vient prendre la sienne et je tourne la tête pour planter mon regard dans le sien. «
Il y a quelque chose d’autre que tu aimerais faire en particulier ce soir ? » Si cette nuit devait être la dernière que nous passerions ensemble je voulais à tout prix lui faire plaisir. «
Je fumerais bien un pétard… » Mon visage s’illumine. «
Tu as frappé à la bonne porte ! » L’hôpital c’est ma deuxième maison depuis que j’avais appris pour mon insuffisance cardiaque. Souvent je m’échappais sur le toit. Ensemble nous préparons une évasion pour nous y rendre sans nous faire griller par l’équipe de nuit. [...]
«
La vue est magnifique. » Le vent dans les cheveux je respire l’air frais avant de sortir mon étui à cigarette. J’en tire un joint et l’allume avant de le tendre au jeune homme. «
J’adore me réfugier ici pour échapper à mes problèmes. Depuis le temps que je fais des séjours à l’hosto les infirmières n’ont jamais capté que c’est ici que je me cache quand je disparais. » Je resserre ma veste contre moi tout en observant Saphyr fumer. Je m’imprègne du moindre de ses gestes, de la moindre de ses mimiques. Au cas où... «
Viens là » je l’invite en ouvrant les bras. Maintenant qu’il n’est plus relié à aucun appareil je me permets de l’embrasser langoureusement. Ma langue vient jouer avec la sienne et je ne me détache de son visage qu’après de longues secondes. «
Je t’ai déjà dit que tu étais la plus parfaite des petites amies ? » Une nouvelle fois je ris avec lui. Quoi qu’il arrive le sourire qu’il affichait en cet instant resterait à jamais gravé dans ma mémoire.
○○○
La matinée avait été longue, l'attente insoutenable. L'intervention m'avait paru durer une éternité. Cette nuit je suis restée auprès de Saphyr dans son lit, je ne l'ai quitté que lorsqu'il est entré au bloc, je ne voulais plus le lâcher. Il était maintenant en salle de réveil. Les médecins m'ont dit que l'opération s'était bien passé. Un vrai miracle selon moi. Ma main dans la sienne j'attendais patiemment qu'il se réveille enfin quand il ouvre les yeux. C’est la pression de ses doigts sur les miens qui me tire de mes pensées. Tendrement je me redresse tout en caressant son poignet, lui laissant le temps de réaliser où il est et ce qu’il s’était passé. «
Hé… » «
Tu as réussi Saphyr » je murmurre. Des larmes de soulagement glissent le long de mes joues sans que je n’y prête vraiment attention, concentrée sur le jeune-homme. «
On avait parié quoi déjà ? » Je souris, il est même assez en forme pour faire de l’humour. «
Tu auras droit à tout ce que tu voudras. Je suis tellement heureuse de te revoir. J’ai eu tellement peur. » Je lui vole un bref baiser et je jurerais presque apercevoir une grimace sur le visage de Saphyr tandis que je ne m’éternise pas contre ses lèvres. «
Tout va bien maintenant » il me rassure, les yeux à peine ouvert. «
Reposes toi mon cœur, je serais là à ton réveil. » Il lutte pourtant contre le sommeil et je comprends qu’il a peur. «
Tu t’es réveillé une fois, tu te réveilleras une deuxième. T'es un battant. Mais il faut que tu reprennes des forces. Plus vite tu iras mieux, plus vite on pourra rentrer chez nous. » Dans un hochement de tête il se laisse aller au sommeil et je m’essuie les yeux avant de me rassoir à ses côtés.
Juin 2013
Les semaines qui ont suivies son intervention chirurgicale Saphyr et moi avons profité pleinement d’être enfin réunis et heureux. D’apprendre à nous connaître sur le bout des doigts. J’avais de la chance de l’avoir près de moi et je le réalisais un peu plus chaque jour. Malheureusement l’amour ne suffit pas parfois. Ethan, sous les conseils de mon père a finalement choisi d’intégrer un centre de désintoxication. Et il a continué à s’éloigner encore de moi. J’ai assez mal vécu ce rejet. Je suis partie en vrille. Le soir je rentrais tard, je sortais avec des amis et buvais beaucoup. Je me suis renfermée sur moi-même à nouveau et Saphyr était totalement impuissant. Il a essayé de m’aider, vraiment. Mais il n’est pas parvenu à calmer mes tendances autodestructrices. Au contraire j’ai même ravivé les siennes. Nous avons décidé de faire une pause pour pouvoir régler nos problèmes. Seulement un soir au travail la situation a dérapé. Saphyr draguait une autre femme sous mes yeux et je ne l’ai tout simplement pas supporté. Après avoir failli nous battre elle et moi une dispute a encore éclaté avec Saphyr. Et je l’ai quitté. Je n’en n’avais aucune envie pourtant mais il le fallait. Sur un coup de tête il est reparti dans son pays natal la Lituanie. Seulement là-bas vit son beau-père qui durant son enfance avait abusé de lui. Il a recommencé durant son séjour. L’homme que j’aimais est rentré totalement détruit. Quand je l'ai revu aussi mal en point j’ai pris soin de lui et nous nous sommes reconstruits ensemble. Je me suis réconciliée avec mon frère également quand il est sorti de sa clinique. Il m’a pardonné d’avoir parlé à papa de ses problèmes. Et il a fini par accepter que j’ai un homme dans ma vie. Entre eux ça a toujours été électrique mais un certain équilibre est venu panser nos plaies à tous. Jusqu’au départ de Zara. Pour ses études elle a déménagé à Sydney en Australie. Nous lui avons rendu visite avant l’été. A notre retour Saphyr était distant. Il voulait la rejoindre. Je ne voulais pas quitter le pays. Alors je l’ai laissé partir… «
Tu n’aurais pas dû m’accompagner » murmure Saphyr devant la porte d’embarquement de l’aéroport. «
C’est peut-être con mais… je veux te voir grimper dans cet avion. Sinon je crois que je vais continuer à espérer que tu peux encore changer d'avis. » Il prend mon visage entre ses mains. «
Je te promet de venir te voir. » Vraiment ? Alors que des milliers de kilomètres allaient nous séparer ? J’avais bien envie de le croire mais préférais ne pas me faire d’illusions. «
ça va aller ? » Je hausse les épaules, pas vraiment certaine de comprendre sa question. Violemment je me mords la lèvre mais je ne peux retenir un sanglot puis les larmes qui menaçaient de couler depuis des heures. «
Tu vas tellement me manquer » j’avoue finalement. Ses lèvres rejoignent les miennes et je m’agrippe à lui comme une petite fille sur le point de se noyer pourrait s’accrocher à sa bouée de sauvetage. La voix d’une hôtesse résonne dans le grand hall pour appeler les passagers en destination de Sydney. Mon cœur se serre. «
Sois heureuse surtout. » Cachée contre son épaule j’acquiesce par automatisme. Mais je ne savais franchement comment allait se passer les prochains jours, les prochaines semaines. «
Et toi fais attention à toi. » Il m’embrasse encore et finit par s’éloigner. «
Saphyr, attends ! » Je fais quelques pas en avant défiant quiconque de me retenir bien que je n’ai pas le droit de m’engager dans la zone d’accès au vol et enlèves ma bague. Celle que je portais toujours et que m'avait donnée ma mère. «
Tiens. En souvenir de moi. Prends-la... S'il te plait. » Saphyr hésite mais accepte finalement de refermer ses doigts sur le bijou avant de me tendre sa chaîne. «
Merci » je balbutie les yeux rouges tandis que je l’accroche autour de mon cou. «
Merci pour tout. » Dans un sourire triste il murmure un petit «
je t’aime » auquel je réponds. A nouveau je le regarde se retourner puis partir. Inconsolable j’attends de voir l’avion décoller avant de retrouver l’usage de mes jambes. C’était comme si on venait littéralement de m’arracher le cœur.
Septembre 2013
Saphyr porte le joint à ses lèvres. Il tourne la tête dans ma direction, debout sur le lit. «
Regardes ça ma puce je vais nous faire décoller. » Le sourire aux lèvres - ce sourire que j’affectionnais tant et qu’il n’a que lorsqu’il me regardait amoureusement - il se met à sauter. En boxer, tout content tel un gamin de cinq ans il s’élance de plus en plus vite et de plus en plus haut. L’image se fait un peu plus floue mais on peut voir ses cheveux en bataille s’ébouriffer un peu plus à ses mouvements. Je me souviens que c’était le matin, nous venions à peine de nous lever. Je m’entends glousser heureuse. En cet instant j’étais une adolescente comme une autre. Ce que je n’avais jamais vraiment été avant de rencontrer Saphyr. Il n’y avait qu’avec lui que j’arrivais vraiment à me laisser aller au bonheur et à rire de si bon cœur. Quelques secondes passent et le jeune homme s’arrête. «
Tu vas lâcher ce téléphone et arrêter de me filmer oui ? » J’avais du secouer la tête car il s’approche en faisant quelques ronds de fumée. Ses yeux bruns s’illuminent un peu plus et ses lèvres se retroussent dans une petite grimace pour grogner «
GRRRR. » Ma voix résonne dans un miaulement et Saphyr disparaît du champ de la caméra pour se nicher dans mon cou. Il y a comme un bruit sourd puis un mouvement brusque et c’est le noir complet.
Doucement je passe mon pouce sur l’écran et caresse le visage de Saphyr. Ethan apparait derrière moi et soupire en me voyant –encore- regarder cette vidéo. Je sursaute «
tu m’as fais peur ! ça fait longtemps que t’es là à m’observer ? » Il est quinze heures mais je n’ai pas bougé du lit. Hier j’ai rendu l’appartement dans lequel je vivais auparavant avec l’homme qui hante toujours mes nuits et mon esprit après presque trois mois d’absence. Je n’ai donc goût à rien. «
Non, je venais seulement te dire que je sors. Je te retrouve ce soir ? Essaies de ne pas passer ta journée à te morfondre ici » J’acquiesce pour lui faire plaisir et le laisse s’éloigner. En plus de mon envie de rester à tout jamais recroquevillée sous la couette de mon frère, ma joie de vivre s’est envolée aussi depuis son départ. Seul reste aujourd’hui le vide. Et le manque. Malgré la souffrance pourtant il faut bien continuer à vivre. J’avais passé un temps fou à me morfondre. Naturellement quand mon monde s’est effondré c’est auprès de mon jumeau que je me suis retournée. Il a pris soin de moi pendant des semaines mais il est temps maintenant que je commence à aller de l’avant. C’est du moins ce que je suis en train de me dire quand l’écran du téléphone que je tiens dans les mains s’éclaire pour m’afficher le prénom "Saphyr" . Il est en train de m’appeler. Putain je rêve. Sans réfléchir je décroche.
«
Allo ?! » «
Zoey ? Comment tu vas ? » «
… Bien et toi ? » «
Je… ouais ça va. Je suis en ville pour un petit moment, tu crois qu’on pourrait se voir ? Au plus vite de préférence. Il y a quelque chose dont j’aimerais te parler. » «
On se retrouve au Tank Hill Park dans une petite heure ? » «
C’est parfait. A tout de suite. » «
A tout de suite. »
[...] «
Je vais pas y aller par quatre chemins Zoey, mais... je suis revenu à San Fransico… Définitivement. » Plantée là au beau milieu du jardin public et mal à l’aise depuis tout à l’heure, je sens mon cœur se mettre à battre la chamade. «
Définitivement ? » je répète. Je n’étais pas certaine d’avoir bien compris. «
J'ai été totalement con. Je n'aurais pas dû partir loin de toi, mais il a fallu ça pour que je réalise combien je t'aimais et que tu étais importante dans ma vie. C'est pour toi, que je suis de retour ici. Uniquement pour toi... » Ces trois petits derniers mots résonnent dans ma tête. Uniquement pour moi. Alors je ne rêve pas cette fois ? Je ne vais pas me réveiller haletante et découvrir que rien de tout ça n’est vrai ? Je résiste à l’envie que j’ai de le palper bêtement pour être certaine que je ne deviens pas complètement dingue. Une brise légère vient balayer mes cheveux en arrière. Tout ça a l’air bien réel. Beaucoup trop réel. La peur commence à refaire surface. S’il est revenu alors il peut aussi repartir. Et ça je ne le supporterais pas. Sans prévenir ma main vient gifler la joue du jeune homme. «
Il t’aura fallu tout ce temps et que tu partes à l’autre bout du monde pour comprendre putain ? » Cette impulsivité c’est plus fort que moi. Je ne m’attendais pas à une telle annonce. Vraiment pas. Je suis perdue. Totalement. «
Qu'est-ce qui me dit que tu ne vas pas encore changer d’avis ? » Saphyr qui n'a pas bronché à la baffe que je lui ai mise plante son regard dans le mien. «
Je t'aime trop pour te laisser de nouveau... Pour toujours et a jamais… Tu t’souviens? » Evidemment que je me souvenais. Comment oublier...
Cet après-midi là je suis partie sans lui faire aucune promesse. J’étais terrifiée. Mais bien vite nous sommes revenus l’un vers l’autre. Nous n’avons jamais pu nous passer l’un de l’autre. Et notre histoire a pris un nouveau départ.